jeudi 24 février 2011

Vanités



















Vanités
Réveil des organes, réveil des morts, retour de la mort dans l’actualité urgente de l’orgasme. La mort ici n’est plus appréhendée comme fin de la vie mais comme mort qui donne la vie. Umbra en latin, c’est à la fois l’ombre et le reflet. Jérémy Chabaud nous donne ici à visiter ombres et reflets de corps qui désespèrent de l’autre.  Ombres et reflets des morts dans la vanité des corps.
La mort comme la jouissance défonctionnalise le corps. Le corps qui jouit est un corps qui ne sait plus. Un corps innommable, hors de tout programme sécuritaire. C’est un corps en danger, rendu complètement étranger par l’envahissement du plaisir. Quelque chose s’ouvre, se tend, palpite, bée. Jérémy Chabaud nous ouvre à une anatomie fantastique, anatomie du rêve ouverte sur l’informe, non peureuse de la mort. Immensité de l’espoir, sexe dressé, du poumon au champignon moisi donnant l’intuition d’une origine végétale du génital. Matières du corps, fluides, forces, humeurs… Ces corps qui ont passionnément désiré reviendront au sol. Ces crânes, ils sont avant et après nous. Ils sont là aussi pendant le plaisir. Si l’homme est seul face à la mort comme face à la jouissance, de ces plaisirs, que restera-t-il ?
Ici, plus de narration. L’extase ne la permet pas. Seules des traces de souvenirs, sensations de ces folles ouvertures subsistent. Progressivement, à la faveur de la succession des dessins, Jérémy Chabaud nous amène vers l’érotisme : celui qui permet de flirter avec la mort, la transgression, la peur, de provoquer ces délices du tremblement, du déséquilibre, de l’essoufflement, de la découverte d’un être en soi radicalement étranger. Devant le désir comme devant la mort, le corps devient chose étrangère. Et parfois, au hasard d’une forme, par delà un paysage cosmogonique, semblent se dessiner les yeux du sexe, orifices de la mort, gouffres du désir.
Vincent ESTELLON, Psychanalyste.

Vanities
An awakening of the organs, an awakening of the dead, a return of death in the immediate urgence of orgasm. Death here is no longer apprehended as being the end of life, but as a giving of life. Umbra, in latin, it is both the shadow and the mirror-image. Jérémy Chabaud here gives us to visit the shadows and reflections of bodies despairing of the other. Shadows and reflections of the dead in what is the vanity of bodies.
Both death and orgasm de-functionalise the body. A body in orgasm is a body that is no longer knowing. An unnameable body, outside any reassuring programme. It is an endangered body, rendered completely foreign by the invasion of pleasure. Something opens up, tenses, palpitates, offered up. Jérémy Chabaud reveals to us a fantastical anatomy, an anatomy of dreams, open to the as-yet unformed, and fearless of death. The immensity of hope, sex raised, a lung like a rotting mushroom, seem to suggest the organic origins of genitalia. The substances of bodies, fluids, forces, humours… These bodies, that have passionately desired, must come back down to earth. These skulls both precede and succeed us. Yet they are also present during extreme pleasure. Ìf man is alone in death, as in orgasm, what then remains of these pleasures?
Here, narrative no longer exists. Ecstasy does not allow it to. Only the traces of memories, sensations of these wanton openings subsist. Progressively, as the works succeed, Jérémy Chabaud guides us towards an eroticism that allows us to flirt with death, transgression, fear ; provoking the delights of a trembling, a disequilibrium, a breathlessness, of the discovery of a radically foreign inner-being. In the face of desire, as in the face of death, the body becomes a foreign thing. And sometimes, in some chance form, beyond any cosmogonic landscape, it would seem that what takes form here are the eyes of the sex, orifices of death, the very gulfs of desire.
Vincent ESTELLON, Psychoanalyst. (traduction Erin Lawlor)

 Souvenirs de crâne(s)…
Des paysages ? Des corps ? Des crânes ? Pourquoi s’abstraire par ces signes et ces couleurs, si ce n’est, d’un pas de côté, appréhender, un instant, autrement l’existence. Personne ne peut éviter la confrontation essentielle avec la mort. Savoirs, richesses matérielles ou spirituelles, plaisirs et pouvoirs, butent contre terre, feu, eau et air, ces forces qui nous ramènent inexorablement vers l’atome.
Entre la certitude de cette réduction ultime et les mystères du devenir, quelques dessins tentent de décanter une existence parcourant le minéral, le végétal, l’animal, chair et désir. La mort est indissociable de la vie. Autant l’apprivoiser, lui accorder une place, apprendre à la regarder en face. Méditation qui ne peut que rendre plus précieux et intense encore, le foisonnement du vivant. Donner grâce à la mort, lui allouer un corps, une mémoire et des symboles, comme source d’énergie pour une renaissance. Reconnaitre la nécessité des métamorphoses, du vivre et de la capacité de se réaliser urgemment. Le mortifère refoulé angoisse, soumet, accumule et accable. La mort apprivoisée libère. Réintégrer la mort à la vie, c’est la régénérer, en permettant les transmissions, la liberté, l’égalité et la fraternité. Elle refonde les mutations et les transmutations, se fait outil de libération et de séparation. Maintenue cachée ou trop effrayante, la mort manipulée administre la médiocrité, l’hypocrisie et le joug des orgueilleux et des petits pouvoirs où se rassurent certains.
Comment ne pas être pétrifié devant la disparition de ses proches comme à l’évocation de son propre anéantissement ? Cet abîme de la pensée ne peut-il être quelque peu éclairé ? Et, de gouffre à caverne, se constituer réceptacle des aspirations humaines, comme notre cher crâne aura été, un temps, le creuset d’un esprit. Tous deux s’en retourneront aux paysages et aux étoiles…
Jérémy Chabaud, Janvier 2010.


Dans les bois / In the woods



Dans les bois

Dans une forêt magique un personnage est né. C’est un homme. Il est nu. Seul, il n’est pas. La terre, les cieux, l’air, les étoiles, la forêt et les animaux sont le berceau de sa naissance. Et dans ce théâtre de branches, de troncs, de feuilles, d’animaux, d’insectes, d’odeurs et de bruits, cet homme apprend. Naissance à la vie ? Naissance au lien dans la solitude de l’humain ? Cette forêt fantasmagorique est là, vivante, grouillante ou soudainement calme, interrogeant sans cesse l’identité de l’homme perdu. Portées par des bruits humides, bruissements de feuilles, cris d’animaux, s’opèrent des métamorphoses de sens. Lorsqu’Il n’y a plus de langue commune, il faut tenter un contact intuitif avec l’autre, radicalement étranger. Ce contact peut se nourrir d’écoute et d’observation, mais il procède d’un art de patience. Pour nous décrire son expérience, Jérémy Chabaud revient à une certaine forme de figurabilité. Figurabilité mouvante toutefois, ouverte à l’informe. Un rêve ne s’entend qu’à partir des mots choisis pour qualifier les images du rêve. Sans doute fallait-il des traits plus narratifs pour raconter cette forme d’expérience entre rêve et douleur. L’homme n’est que peu de choses dans ces bois fantastiques où le scorpion hurle son lion majestueux. Mais il est là, dans chaque toile, analysé, modifié, apprivoisé par l’altérité du monde végétal et animal. On repense au « Walden » d’Henry David Thoreau, et à sa vie dans les bois au plus loin de la société urbaine. On pourrait penser également à l’expérience de Rousseau dans la forêt d’Ermenonville. Ici, c’est par la peinture que Jérémy Chabaud nous livre ses observations : doutes, angoisses, peurs, joies, extase, détresse, et les émerveillements d’une révolte solitaire ouverte sur l’Autre. Y aurait-il un message politique par delà cette forêt enchantée ? Serait-ce dans la solitude que l’on accède à l’altérité ? Métaphorique de l’inconscient, cette forêt enchantée et terrifiante, n’apprendrait-elle pas à l’humain les limites de sa conscience ? Les limites de son pouvoir ? Chabaud nous rappelle ce que n’a pas oublié l’enfant : l’aptitude à apprendre et à s’émerveiller.
Vincent ESTELLON, Paris, 12 décembre 2010

In the woods
In a magical forest a figure is born. It’s a man. He is naked. Alone, he isn’t. The earth, the skies, the air, the stars, the forest and the animals are the cradle of this birth. And in this theatre of branches, of trunks, of leaves, of animals, of insects, of scents and sounds, the man learns. A birth into life ? A birth into the relationship with human solitude ? This fantasmagorical forest is there, alive, crawling or suddenly calm, constantly questioning the identity of the lost man. Borne by damp noises, the rustle of leaves, the cries of animals, the senses change. When there is no common language, one must attempt an intuitive contact with others, radically foreign. This contact may be enriched by listening and observation, but it is born from an art of patience. In order to describe his experience, Jérémy Chabaud comes back to a certain form of figurativeness. A shifting representability however, open to the unformed. A dream can only be heard through words chosen to qualify the images of the dream. No doubt more narrative traits were needed to recount this form of experience between dream and pain. Man is but little in these fantastical woods where the scorpion howls out as a majestuous lion. But he is there, in each picture, analyzed, modified, won over by the otherness of the plant and animal world. One is reminded of Henry David Thoreau’s « Walden », and his life in the woods far from urban society. One might also think of Rousseau’s experience in the forest of Ermenonville. Here, it is through painting that Jérémy Chabaud shares his observations : doubts, fears, joys, ecstasy, distress, and the wonderments of a solitary revolt open to Others. Could there be a political message beyond this enchanted forest ? Could it be in solitude that one acceeds to otherness ? Metaphorical of the subconscience, does this enchanted and terrifying forest not teach us humans the limits of our conscience ? The limits of power ? Chabaud reminds us what children have not forgotten : the aptitude to learn and wonder.Vincent ESTELLON, Paris, 12th December 2010

In the woods (dessins)















Une forêt peuplée d'invisible / A forest inhabited by the invisible


Une forêt peuplée d’invisible

C’est un voyage au milieu de l’hiver dans le calme et les sons feutrés par la neige. C’est un homme qui s’avance seul dans une forêt, pour l’instant étranger à ses secrets. C’est une page blanche, glacée et immobile, où dansent des  arbres nus, leurs artères et leurs veines dressées vers le ciel. Des espaces inconnus s’ouvrent. Des chemins se perdent, puis se relient. Des êtres farouches se laissent surprendre. Le monde sauvage apprivoise la créature intruse. Les émotions attisent les sens et préparent l’athanor. L’exploration et l’imprégnation ont commencé. C’est une envie soudaine d’être un écureuil ou un Geai Bleu pour jouer avec les branches. C’est la surprise d’une harde de biches dans leur course folle. Ce sont tant d’autres animaux dont il faudra chercher les noms. L’homme ne pouvant grimper, voler, ni bondir avec tant d’agilité, le regard et la main chercheront à dire ces instants et ces rêves. La recherche des proportions, des formes et couleurs est aussi l’aventure. Des cartographies se superposent. Des mondes du dedans et du dehors s’entrecroisent.  Des histoires, des vies se racontent et se tissent. C’est le froid qui laisse la place au chaud. C’est une nature qui s’éveille à nouveau. C’est une intensité qui libère les énergies. Doucement un glissement s’opère et le jeu s’est inversé. Des feuilles pointent et l’homme dans sa solitude se met à nu. Du macrocosme au microcosme quels secrets se sont échangés ? La tête s’est enracinée dans les nuages. Les bras, les jambes et le corps entier ont basculé, les yeux ne savent plus qui regarde et qui est regardé. Ce sont les lignes de la main et les chemins d’une vie qui se dévoilent. C’est un sexe les pieds dans la mousse. C’est la sève qui remonte et s’écoule. La mort est balancée par cette étonnante magie.  La vie de l’homme aux arbres s’est unie. Le pinceau s’élance du cerf à la branche et de l’arbre à l’oiseau vers déjà autre chose. Dans l’étendue du dessin le périple continue de s’inventer. De l’introspection aux partages, envie, de nouvelles libertés. Jérémy Chabaud, Josef and Anni Albers Foundation,  2010.

A forest inhabited by the invisible
It is a journey in the midst of winter, calm, all sound stifled by the snow. A man advancing alone in a forest, for now a stranger to its secrets. It is a blank page, icy and immobile, where the naked trees dance, their arteries and veins raised up to the sky. Unknown spaces open up. Paths lose their way, then link up. Shy beings allow themselves to be startled. The wild world appropriates the intruding creature. Emotions sharpen the senses and make way for the athanor. Both exploration and impregnation have henceforth begun. A sudden desire to be a squirrel or a blue jay the better to play with the branches. There is the surprise of a herd of does in their mad rush. So many other animals to be identified.  Man being unable to climb, fly, leap with such agility, it is up to the hand to try and express these instants and dreams. Seeking out proportions, shapes and colours is also part of the adventure. Different maps overlay one another. Inner and outer worlds cross paths. Stories, lives, are told and take form. The coldness gives way to warmth. Nature awakens once again, with an energy-liberating intensity. A gentle shift, and the play is reversed. Leaves appear and the man in his solitude lays himself bare. From macrocosm to microcosm what secrets have been shared ? The mind takes root in the clouds. Arms, legs, the whole body has shifted, no longer knowing who is watching, or watched. The lines of a hand, the lines of life are revealed. A sex with feet of moss. The sap rising and running forth. Death is counter-balanced by this astonishing magic. The life of the man is henceforth linked to the trees. The paintbrush slides from deer to branch, from tree to bird, and already to something else again. In the plane of the drawing the journey continues to invent itself. Beyond introspection and shared moments, the desire for new freedoms. Jérémy Chabaud, Josef et Anni Albers Foundation, 2010.

samedi 19 février 2011

Signs along the paths









Albers Foundation, 2010.
Technique mixte sur papier, 75 x 50 cm.

Tribute to the trees





Tribute to the trees. Albers foundation 2010.
Technique mixte sur papier, 75 x 50 cm.

La maison dieu


"Il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante".
Friedrich Nietzche